Le statut et la communication des archives de l’aide sociale

La politique d’aide sociale actuelle est née de trois notions : la charité, la bienfaisance et l’assistance, qui se sont progressivement institutionnalisées. La mise en place d’une administration de l’Assistance Publique au XIXe siècle a fait croître la production d’archives publiques, qui ne cesse d’augmenter depuis les lois de décentralisation et de déconcentration. Avant 1998, aucune réglementation n’existe sur les archives produites dans le cadre de l’action sanitaire et sociale. Or, les archives de l’aide sociale, anciennes et volumineuses, sont très valorisantes pour les services d’archives qui les communiquent principalement aux généalogistes et aux familles d’enfants assistés. Les archives de l’aide sociale voient leur statut évoluer depuis la politique d’ouverture de l’accès aux archives publiques amorcée en 2008. Toutefois, il convient de rappeler qu’il s’agit d’archives très sensibles, touchant directement la vie privée des personnes, et pouvant révéler des informations juridiques ou médicales, soumises à des délais spécifiques, conformément au chapitre 3 du livre II du Code du patrimoine (articles L. 213-1 à L. 213-8). Elles posent donc des questions de morale, autant que des questions plus pratiques liées à leur communication.

La multiplicité des données et la variété des documents contenus dans les archives de l’aide sociale complexifient leur communication tant aux chercheurs qu’aux intéressés. Il convient de se demander s’il faut favoriser un plus large accès aux archives au risque de trahir une certaine confidentialité ou de restreindre et contrôler la communication, quitte à empêcher l’accès de tout un ensemble de documents officiellement communicables.

Les archives de l’aide sociale sont hétérogènes et concernent des domaines très différents. Si certains dossiers administratifs généraux, comme les dossiers de construction des HBM, ne sont soumis à aucun délai particulier, et sont donc librement communicables dès leur versement aux Archives, d’autres sont en revanche à distinguer en raison des informations particulièrement sensibles qu’ils contiennent. La loi et les archivistes, qui se doivent de protéger la vie privée des individus, appliquent donc certaines conditions à leur communication, conformément aux délais de communicabilité précisés dans le livre II du Code du Patrimoine.

Par la circulaire interministérielle AD 98-6 du 6 juillet 1998, concernant le traitement des activités produites dans le cadre de l’aide sociale en faveur des mineurs, naît une première réglementation sur le tri et la conservation des archives de l’aide sociale. Cette circulaire privilégie une approche thématique, dépassant la traditionnelle notion de services producteurs, afin de prendre en compte l’ensemble des acteurs de l’action sanitaire et sociale.

Les conditions de communication des archives de l’aide sociale recoupent plusieurs textes réglementaires comme la loi CADA et le Code du Patrimoine. Dans certains cas le droit à la communication est réservé aux seuls intéressés, si les documents portent « une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice » conformément à l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978. La loi du 12 avril 2000 a supprimé les termes de « document à caractère nominatif » de la loi du 17 juillet 1978, tout en reprenant strictement la définition élaborée par la CADA. Les documents portant atteinte à la vie privée ou au secret médical sont aussi concernés. Les personnes intéressées, pouvant avoir accès aux documents à tout moment, se répartissent en trois catégories :

  • si le bénéficiaire est toujours en vie, lui seul peut avoir accès à son dossier, ou mandater un tiers de son choix pour procéder à la consultation en son nom.
  • si le bénéficiaire est décédé, seuls ses héritiers en ligne directe peuvent consulter son dossier. Par conséquent, le conjoint n’a pas accès au dossier de l’époux (ou épouse) décédé(e). Il en est de même pour les frères et sœurs. Cependant, des dérogations sont possibles, sur demande auprès du Service Interministériel des Archives de France. Les requérants doivent justifier de leur qualité et le défunt ne doit pas s’être opposé à cette communication de son vivant.
  • si le bénéficiaire est mineur, le droit d’accès est exercé par les titulaires de l’autorité parentale.

Produits dans le cadre d’une administration publique, les services d’archives ne peuvent en refuser l’accès passés certains délais définis dans la loi du 15 juillet 2008, repris dans les articles L. 213-1 à L. 213-8 du Code du Patrimoine. Enfin, pour les dossiers avec demande de secret de l’identité des parents, il n’y a pas de délai permettant une consultation libre. Seul le Centre National d’Accès aux Origines Personnelles est habilité à contacter la mère de naissance pour savoir si elle accepte de lever le secret de son identité, selon l’article L. 147-6 du Code de l’action sociale et de la famille. Dans l’hypothèse où la mère de naissance est décédée, sans s’être opposée à la levée du secret de son identité de son vivant, cette identité sera donnée au demandeur. S’agissant du secret médical, la communication aux ayants droit est régie par les dispositions de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique. Lorsque des documents se rapportent au secret de la vie privée d’une personne décédée, ses ayants droit, voire ses proches, peuvent en obtenir communication si cette personne ne s’y est pas opposée de son vivant et s’ils justifient d’un motif légitime, qu’il convient d’apprécier au cas par cas et au regard de la nature du document et de l’intérêt du défunt comme du demandeur.

Cependant, le Service Interministériel des Archives de France peut autoriser la consultation des documents d’archives publiques avant l’expiration des délais légaux, sur le fondement de l’article L. 213-3 du Code du Patrimoine.

Cas particulier : les dossiers de l’Aide Sociale à l’Enfance

L’assistance à l’enfance est un phénomène ancien surtout marqué par l’intervention de Saint Vincent de Paul au XVIIe siècle. Les dossiers produits dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance représentent une masse importante et posent divers problèmes aux chercheurs mais aussi aux services qui les conservent. Ces documents, valorisants pour les services d’archives, font l’objet d’une attention particulière. Les milliers de dossier d’enfants assistés constituent une source importante pour l’histoire des familles. Le dossier d’ASE est un dossier de recueil de tout document administratif, médical, socio-éducatif, juridique, relatif au jeune lors de son accompagnement par le service de l’ASE. Il est complété tout au long de l’accompagnement de l’enfant et clos à la fin de l’intervention du service, c’est-à-dire à sa majorité. Le suivi de ces enfants sur une longue période engrange la production d’un nombre important de documents, dont la typologie varie grandement en fonction de l’époque à laquelle ils ont été produits, de l’évolution administrative de l’Assistance Publique, et du statut de l’enfant en lui-même.

L’archiviste fait donc face à un problème de communication, engageant sa responsabilité, dès le classement des fonds et la rédaction de l’instrument de recherche. En effet, contrairement à la loi de 1979, la loi du 15 juillet 2008 s’attache plus aux contenus qu’aux supports, ce qui implique une certaine subjectivité, voire une confusion, quant à l’appréciation des informations contenues dans les dossiers. L’archiviste, lors de la rédaction du bordereau de versement, prend la responsabilité de préciser les délais de communicabilité associés aux documents. Il convient donc de définir leur statut, de prendre en compte toutes les informations contenues dans un même dossier et les conséquences que peut avoir leur communication. Or, le choix se complique lorsqu’un même article contient des dossiers de périodes différentes. Un dossier peut lui-même contenir des documents dont les délais de communication varient. L’archiviste doit-il alors prendre le parti de restreindre l’accès en appliquant le délais le plus long à l’ensemble des documents contenus dans l’article, ou prendre la responsabilité de vérifier chaque document et de donner accès à ce qui est communicable, sous sa surveillance ? Si la politique actuelle tend à une ouverture plus large de l’accès aux archives, l’archiviste ne peut cependant prendre le risque que des informations protégées par les délais de communication soient divulguées.

Toutefois, pour favoriser l’accès au dossier sous surveillance, il est possible de proposer une communication par extrait, une communication au dossier avec vérification des pièces encore non communicables, ou une demande de recherche pour une information précise n’exigeant pas la consultation de l’ensemble des documents. Cependant, le foliotage de chaque pièce, la vérification de chaque date sont des tâches chronophages qu’un service d’archives ne peut parfois se permettre. Elles sont néanmoins essentielles pour assurer la communication des archives publiques au plus grand nombre, conformément aux conditions définies dans le Code du Patrimoine.

Les archives de l’aide sociale font donc l’objet d’une attention particulière, tant par leur hétérogénéité que par la fréquence de leur communication et la sensibilité des informations qu’elles contiennent. La loi ne clarifie cependant pas toujours leur statut et les délais de communication qui leur sont appliqués : il en va donc de la responsabilité de l’archiviste et de la politique du service pour assurer une communication la moins restreinte possible, tout en contrôlant l’accès à certaines données. Le projet de loi « sur les édifices protégés, l’archéologie, les archives et les musées », annoncé par Madame la Ministre Aurélie Filippetti en septembre 2012 pour l’année 2013, permettrait éventuellement de soulever cette ambiguïté.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

par Stéphanie Desvaux / @Stepharchives