La collecte et l’identification des archives des sciences humaines et sociales.

   Les archives des sciences, que ce soit celles des sciences de la nature[1] ou celles des sciences humaines et sociales, sont des archives au statut ambigu. En effet, dans le Code du patrimoine, les archives ont été définies comme étant « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité »[2] ; à ce titre, les archives du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui est un organisme public de recherche et donc un établissement public à caractère scientifique et technologique, produit des archives publiques. De ce fait, les archives des activités exercées par des enseignants ou des chercheurs qui sont associés à des institutions de service public devraient être versées à un service d’archives compétent. Toutefois, la nature même des documents ainsi que la vision qu’ont les enseignants ou chercheurs de leurs archives ne rendent pas le versement d’archives automatique : cela pose des problèmes pour faire l’histoire de l’institution comme celle de la matière ou encore pour faire l’histoire de la recherche elle-même. C’est pour cela que des programmes et enquêtes ont été mis en place pour identifier les fonds d’archives des sciences.

     La prise de conscience de la nécessité de préserver le patrimoine du CNRS et de la recherche en général s’est faite dans les années 1990. Un premier programme a vu le jour en 1993 : le Programme ARISC « Archives Issues des Sciences Contemporaines » mis en place par Odile WALFELE. Celui-ci devait se dérouler entre 1993 et 2000, mais, faute de moyens, il a été stoppé en 1996. Ce programme a fait l’objet d’une convention entre le CNRS et le Ministère de la Culture et avait pour but d’étudier les documents, matériaux et objets produits et utilisés dans la recherche à partir de 1950 et de réfléchir aux solutions de conservation nécessaires à la constitution d’une mémoire du travail scientifique. Ce programme se voulait être une réflexion autour de la gestion des nouvelles formes de technologies employées dans les laboratoires, que peuvent être les échanges de mail ou les bases de données, tout en imaginant les manières de conserver ces documents émis sous un nouveau format.
La méthode de travail s’appuyait sur des enquêtes de terrain. Des entretiens ont été réalisés auprès des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens ; ont également été organisées des campagnes de photographies, portant sur les documents produits par le travail de la recherche (manuscrits, graphiques, dessins, etc.) mais aussi sur le processus de leur production.  Enfin, des opérations d’archivage ont été menées, donnant lieu à la publication d’un catalogue collectif des fonds[3]. Les archives du programme ARISC sont actuellement conservées aux Archives nationales, sur le site de Fontainebleau en ce qui concerne le fonds photographique (versement n° 20070297) et au dépôt de Gif-sur-Yvette pour ce qui est du reste du fonds (versement n° 8660080 MIST).

  Le projet ARISC a été le premier programme à s’intéresser aux archives des scientifiques ; il a lancé la voie dans ce domaine, mais il portait plus spécifiquement sur les archives de la nature. En ce qui concerne les archives des sciences humaines et sociales, deux rapports font un état des lieux de la question : le premier, réalisé par Roxane SILBERMAN, portait sur les données des enquêtes sociales[4] et notamment sur leur diffusion d’institution à institution. Ce rapport propose une collaboration entre les institutions et tout particulièrement entre le CNRS, les universités ainsi que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Le deuxième rapport, rédigé par Françoise CRIBIER et Elise FELLER, traitait des données qualitatives des sciences sociales[5] et de la façon de les préserver. En effet, les enquêtes conduites auprès des population une fois analysées et publiées n’ont pas fait l’objet de conservation particulière ; ce rapport propose donc une réflexion sur les catégories de matériaux à conserver, sur l’apport de ces données qualitatives pour le futur et des raisons pour lesquelles il est important de les conserver. Ces deux rapports montrent l’intérêt pour le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement de la conservation des archives des sciences humaines et sociales. L’Etat n’a pas concrétisé ces initiatives par un programme de sauvegarde, mais il en a en revanche confié la tâche au Réseau national des Maisons des sciences de l’homme.

  En 2002, le Réseau national des Maisons des sciences de l’homme et en particulier la Maison des sciences de l’homme de Dijon, a initié un travail de réflexion sur les archives de la recherche en sciences humaines et sociales, sous l’impulsion de la Direction de la recherche du Ministère de l’Education Nationale et en collaboration avec de la Direction des archives de France. Le programme Archives de la recherche des Sciences humaines et sociales (ARSHS) était né. Le projet a commencé par l’organisation de séminaires auxquels participaient des chercheurs et des archivistes, qui ont aboutit à la nécessité de mener une enquête qui permettrait d’identifier les fonds et ainsi dresser un état de ces fonds. Le travail s’est poursuivi par la mise en place d’un questionnaire sous deux formes, l’un en direction des directeurs d’Archives départementales et l’autre à destination des chercheurs, enseignants-chercheurs et personnels administratifs des laboratoires. Le questionnaire s’est appuyé sur la norme ISAD(G) pour l’identification des fonds, c’est-à-dire sur une  reprise des différentes zones que recommande cette norme, afin de faciliter par la suite la saisie des réponses et produire un instrument de recherche normalisé. Si la tâche est plutôt aisée pour les archivistes qui travaillent avec ISAD(G), elle l’est moins pour les chercheurs et c’est pour cela qu’une version explicitée leur a été adressée.
La diffusion des questionnaires en direction des Archives départementales a été faite par la Direction des archives de France et celle auprès des chercheurs par la Maison des sciences de l’homme de Dijon en association avec la Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) et par  la Maison Archéologie et Ethnologie de Nanterre. En 2008, 295 questionnaires ont été traités, la plupart venant des directeurs d’Archives départementales. Afin que les chercheurs répondent massivement, des contacts ont été établis avec les présidents des universités. De même, en 2009, une grille d’enquête simplifiée a été réalisée. Toutefois, un véritable accompagnement des chercheurs, enseignants-chercheurs et personnels administratifs était nécessaire pour que cette enquête trouve un écho auprès d’un public peu sensibilisé aux enjeux de l’archivage.
Le traitement des résultats s’est fait à l’aide du logiciel de production d’instrument de recherche Arkhëia-Aide au classement ; l’instrument de recherche obtenu a été encodé au format XML[6]. Il comprend deux ensembles qui suivent la logique de l’enquête : on trouve donc une partie regroupant les archives des unités de recherche et une partie regroupant les archives de centres d’archives départementales et municipales.

   Ce programme a permis d’identifier et de localiser un certain nombre de fonds de la recherche en sciences humaines, mais aussi de prendre conscience que plusieurs institutions avaient développé leurs propres services d’archives, comme c’est le cas par exemple pour l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Un réseau de correspondants archives a ainsi été mis en place au sein des différentes composantes de l’institution, auquel s’ajoutent des sessions de présentation et de sensibilisation aux outils de l’archivage. On citera également le centre d’archives de la Maison René-Ginouvès, de même que la mise en place, par les Archives départementales du Maine et Loire, d’un poste d’archiviste à l’université d’Angers, ce qui permet de créer un climat favorable pour le versement d’archives aux Archives départementales.

 Elsa Borodine


[1] Terme repris à Serge WOLIKOW dans « L’enquête sur les archives de la recherche en sciences humaines et sociales (ARSHS). Premier bilan », in Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°9, septembre-décembre 2009.

[2] Code du patrimoine, Livre II, Article L211-1.

[3] CHARMASSON Thérèse, MARION Daniel, GAZIELLO Catherine et ROTATREGUIER Carole, Les archives des scientifiques, XVIe-XXe siècle : guide des fonds conservés en France, Ed. du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2008.

[4] SILBERMAN Roxanne, Les sciences sociales et leurs données, Paris, Ministère de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, 1999.

[5] CRIBIER Françoise et FELLER Elise, Projet de conservation des données qualitatives des sciences sociales recueillies en France auprès de la « société civile ». Paris, Rapport présenté au Ministère délégué à la Recherche at aux Nouvelles technologies, 2003.