[Hors sujet] Policiers et gendarmes au cinéma des années 1945 aux années 1980 – Partie 2

L’image du policier des années 1945 à la fin des années 1970 est régit par le « star-system ». Le héros policier est incarné par des acteurs récurrents qui s’affrontent, se croisent et délimitent une continuité.

Le héros policier peut être classifié. Dans cette classification le facteur du scénario et de l’acteur sont aussi importants. Certains acteurs sont « faits » pour certains rôles, dès lors, une constante s’installe dans leur carrière. L’évolution se fait en fonction de l’âge qu’ils ont. Pour prendre l’exemple de Gabin, il commence sa carrière dans divers rôles de voyous au grand cœur, image du délinquant romantique, ou d’un déserteur protecteur comme dans Quai des brumes (1938, Marcel Carné), puis il passe au rôle de patriarche, que se soit dans la police ou dans le crime. Dans le cas de la police, en jouant le rôle du commissaire Maigret, il montre un policier proche de la retraite, ayant fait carrière, qui n’intervient que pour protéger les citoyens. Il ne juge pas, il est l’instrument de la justice. Dans le rôle du truand, il se pose en chef de famille, avec une morale indéfectible, comme dans la scène de fin du film Le clan des Siciliens.

« L’ancien hors-la-loi est devenu un agent de l’ordre, l’ancien ouvrier un banquier, l’ex-déserteur un ancien combattant. Parallèlement à l’image, sentimentale, de l’homme du peuple frondeur, cabochard, révolté, bon et malheureux s’est substituée très normalement trente-six ans plus tard, celle, glaciale, d’un propriétaire terrien, exploitant agricole, éleveur, turfiste distingué et producteur de cinéma. Gabin photographié, en 1936, auprès de Maurice Thorez n’aurait pas choqué ; en 1972, photographié auprès de Georges Pompidou, il n’aurait pas choqué non plus »1

Le passage du voyou à l’homme installé peut être reprise dans l’image de la police que donne Jean Gabin. Son successeur, le lutteur italien Lino Ventura, présente les mêmes valeurs morales. On le retrouve en tant que subalterne de Gabin, dans Maigret tend un piège, bien que leur aspect physique soit différent :

« Une gueule de truand ou de flic – des fois ça va ensemble – le front barré, déjà, de plusieurs rides d’expressions qui dénotent « un foutu caractère » (d’ailleurs il en convient), des lèvres minces, un regard qui dit “cause toujours“, un fort tonnage, rouleur de mécaniques, une forte santé et un bel appétit. »2

L’évolution du personnage est sensiblement la même, il passe du rôle de voyou à celui de policier. Tout comme Gabin, ses rôles « s’embourgeoisent », pour reprendre le terme de Yannick Dehée. Tous deux campent des personnages installés dans un cadre de vie bien défini. Lino Ventura affiche aussi bien ses convictions vis-à-vis de la politique à l’écran que dans la vie privée.

« Quand je vois évoluer des hommes politiques, je ne peux m’empêcher de penser à des pantins. Comme Soljenitsyne, je crois que la politique avilit l’homme. »3

Cette image se retrouve particulièrement dans son rôle de commissaire Verjeat dans Adieu Poulet, où il combat le politicien Lardatte, qui s’arrange pour éloigner Verjeat de Rouen et le fait muter avec une promotion à Montpellier (« Verjeat – Il est malin, une promotion ça ne se refuse pas »). Ces deux acteurs se trouvent dans une vision gaullienne du policier, prônant une stabilité contre les criminels. Du coté du gendarme, on retrouve Louis de Funès avec sa série des Gendarmes où il incarne le gendarme Cruchot, bien installé, respectant l’ordre et la hiérarchie. On note que ces trois acteurs incarnant les forces de l’ordre se retrouvent dans une catégorie que l’on pourra qualifier de rouage. Ils obéissent en effet aux ordres de leur supérieur, mènent à bien leurs enquêtes. Olivier Philippe caractérise cette catégorie par le terme d’instrument. Dans tous les cas, ils présentent une force rassurante pour la population. Ce schéma est reprit de son ouvrage, et illustre l’interaction de la police avec la population et le politique :

1Schéma 1

Dans le cas de Gabin et de Ventura, leur rôle de policier nous en apprend peu sur le personnage. Ce dernier est en général peu présent chez lui, ils donnent l’impression d’un homme qui est happé par son travail. Dans Maigret tend un piège, le commissaire Maigret souhaiterait partir à la pêche mais son travail l’en empêche. Yannick Gehée détermine ces acteurs comme étant gaulliens, « ils sont le reflet d’une société d’ordre et de stabilité travaillé par des mouvements souterrains »

Les valeurs morales imposées par les grands noms du cinéma français sont progressivement remises en cause par de nouveaux acteurs tels que Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. Tous deux prônent une valeur différente et innovante de la police. Ils ont aussi joué des rôles de voyous, Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (1965) pour Belmondo, Le clan des Siciliens pour Delon. L’impact qu’ils ont sur le cinéma policier au sens large n’est pas moindre, chacun donne une image bien particulière de l’institution. Belmondo apparaît rapidement comme un policier rebelle, rebelle car pour lui la fin justifie les moyens. Cette image se retrouve dans Peur sur la Ville, Le Marginal, Le Professionnel. Belmondo donne l’image d’une police forte, indépendante de la politique, insolente vis-à-vis du pouvoir. Au niveau des costumes, il marque le pas pour une police décontractée, sans grands scrupules pour interroger les gens. L’image véhiculée est celle d’une police plus jeune aussi, Alain Delon et Belmondo incarnent des policiers de trente à quarante ans, contrairement à leurs ainés qui incarnaient des personnages en fin de carrière. Alain Delon incarne en revanche un personnage plus posé. Son début de carrière, comme Gabin, se trouve du coté des voyous : Le Borsalino 4 avec Belmondo, Le Clan des Siciliens au coté de Ventura et Gabin, La Piscine au coté de Romy Schneider où il incarne un tueur impassible, qui ne transmet aucun remord lors des interrogations de la police. Son passage du coté des forces de l’ordre se fait notamment avec le film Un flic 5, on le retrouve aussi à la fin de sa carrière dans Ne réveillez pas un flic qui dort 6. Il donne une image d’un policier calme, tout comme lorsqu’il jouait le truand ; ce calme est aussi la force qu’il projette à l’écran. Le policier qu’il incarne est droit mais pas forcément moral. Sa droiture est ambiguë, elle ne vise généralement qu’à lui garantir un profit personnel, il laisse l’image d’un homme ténébreux, ombrageux. Amateur de femmes, comme Belmondo, le policier de Delon est charmeur, mais contrairement au bagou du premier et à l’invraisemblance de ses films à cause des cascades de plus en plus spectaculaires, Delon s’attache, comme le souligne Yannick Dehée, à conserver une part de réalisme dans ses films : « Delon se veut un héros réaliste, crédible à 100% ». Le point commun des deux acteurs est de mettre en place un policier qualifié d’ordonnateur par Olivier Philippe. Ce type de policier veut l’ordre, mais peu importe les moyens. Ce genre de policier est du coté de l’ordre, et non de la loi, cette dernière est un moyen de restituer l’ordre, aussi, il est fréquent qu’il n’en tienne pas compte. C’est pourquoi Belmondo à la fin du film Le Marginal abat son ennemi avec un revolver qui n’est pas le sien, il sera donc directement innocenté et le propriétaire du revolver accusé. L’ordre est rétabli, le criminel est mort. Le policier ordonnateur est donc libre de ses moyens : mensonges pour arriver à ses fins comme dans Ne réveillez pas un flic qui dors dans lequel Grindel (Alain Delon) tend un piège à son supérieur pour le démasquer en tant que membre du parti Fidélité Police, ou encore Belmondo dans Le Marginal qui n’hésite pas à faire du zèle alors que son nouveau supérieur de Montmartre lui demande de faire un travail calme. Cette image de la police est d’un nouveau genre, elle tend à montrer un policier bloqué entre la population et son métier. Il désire rétablir l’ordre pour que la société aille mieux, mais il est dans une période où cette société le rejette Dès lors il se retrouve coincé entre la population qui le déconsidère et une hiérarchie qui veut contrôler ses actions, soit dans son intérêt comme dans Peur sur la Ville ou parce qu’elle est corrompue comme dans Ne réveillez pas un flic qui dors. Ce second schéma met en évidence la place de la police ; elle se trouve toujours entre deux feux, mais comme la population et le politique entrent de plus en plus en conflit, la police a du mal à faire le pont entre les deux.

2Schéma 2

La fin du Star System, dès les années 1980, marque un renouveau dans le cinéma français. Dans cette société qui évolue, émergent de nouveaux acteurs, plus nombreux, plus éphémères, et donc une nouvelle vision de la police. Ces incarnations de policiers représentent une police contradictoire, d’un coté on peut voir les policiers qui vivent pour la police, un peu dans la ligné de l’ordonnateur, d’un autre coté plus on avance vers années 1990, plus le policier montre ses craintes, son coté humain, seulement humain et non plus héroïque. C’est notamment le cas dans Pinot simple flic où Pinot, en filature avec un collègue, voit entrer les deux suspects à l’université de Jussieu. Le collègue se prépare à entrer, Pinot le rattrape et lui dit : «[…] mai 68 ça te dit rien ? » « – Tu sais moi j’avais 10 ans… ». Ce dialogue montre la peur du policier et l’humanise. On retrouve la même chose dans La balance, mais cette fois-ci du coté des hors-la-loi. L’époque où les films mettaient en scène des hommes d’actions où l’honneur était plus important que la mort est révolue, le policier s’humanise, doit faire face à des dilemmes et à la réalité de son métier. Dans Les Ripoux Philippe Noiret, dans le rôle de René Boisrond, un policier « ripoux » et désabusé, laisse passer les petits délits quotidiens ; cela passe par les ouvriers textiles non déclarés, au boucher qui n’affiche pas les prix. Certes il se sert au passage pour fermer les yeux, mais se justifie auprès de son nouveau collègue, François Lesbuche (Thierry Lhermitte) : en effet s’il arrêtait tout le monde d’autres prendraient leurs places et que, surtout, les prisons françaises sont déjà pleines. Cette image du policier désabusé est poussée à son paroxysme par Tchao Pantin. Coluche interprète le rôle d’un pompiste qui se prend d’affection pour un jeune dealer joué par Richard Antonina. Il s’avère que le pompiste alcoolique était un policier : « […] inspecteur Lambert, tricolore jusqu’au slip », pour reprendre une réplique du film. Ce passage explique la désillusion de cette nouvelle vague de policiers. Cela met aussi en valeur un autre facteur : la vocation. Les policiers comme Gabin et Ventura étaient policiers pour faire respecter l’ordre et rassurer le citoyen, les Delon et Belmondo pour arrêter les malfrats ; les nouveaux policiers du cinéma qui prennent place progressivement peuvent avoir une vocation avec une vertu moralisatrice, comme les Gabin, mais l’image innovante est celle du policier par dépit. Ce dernier n’est pas policier par vocation, dans Pinot simple flic Gérard Jugnot interprète un policier qui rentre dans la fonction public pour avoir un métier stable et fixe. Coluche dans Inspecteur la bavure devient policier pour faire plaisir à sa mère, « j’m’en fou moi, c’est pour ma vieille » dit-il à un de ses collègues au moment des résultats pour devenir inspecteur. Cela illustre bien l’ambiance du temps et que le policier qui rentre dans la police dans les années 1980 n’est pas forcement là par vocation. Ce renouveau du personnage policier met en avant une dimension plus sociale. On s’intéresse plus au caractère, au ressenti, mais aussi à sa propre perception de la police. Le fait de montrer sa peur permet d’avoir une vision humaine et non plus héroïque. Cela met avant que le policier craint la population et en a conscience, il en a d’autant plus conscience qu’il est détesté par cette dernière. Dans le film On ne meurt que deux fois de Jacques Deray sorti en 1985, le personnage principal, l’inspecteur Staniland (Michel Serrault) discute avec Arthur Chalon (Maurice Barrier) pour avoir des informations sur son ex-femme Babara (Charlotte Rampling) : « Vous êtes flic ? » « (acquiescement) Mmmh » « J’vous d’mande ça parce que chez nous on les aime pas trop les flics » « oui, chez nous non plus, mais nous on sait pourquoi. » Cette image du policier qui ne s’aime pas, représente le fragment du policier qui fait parti de la population, il sent que sont travail est ingrat et qu’il est détesté.

3Schéma 3

Ce dernier schéma montre que la police se retrouve en dehors de la population, et qu’elle tend à se rapprocher de la politique car son rôle est d’appliquer la loi. Cette démarche impose à la police un détachement vis-à-vis de la population. Cette dernière ne considère plus que la police est là pour la protéger, mais au contraire pour la contrôler. Les années 1980 voient émerger aussi la féminisation de la police et de la gendarmerie. Ces policières apparaissent avec des films comme Pinot simple flic, La guerre des polices et Le gendarme et les gendarmettes. Les policières dans les films ont plutôt un rôle de missionnaire avec une idéalisation du métier.

On peut donc voir quatre grands types de policiers, comme le montre Olivier Philippe : l’instrument (ca 1945-1970), le missionnaire (ca 1970-1980), l’ordonnateur (ca 1970-1988), le désabusé (à partir de 1980).

1 Claude Gauteur, cité dans Mythologies politiques du cinéma français, p.117.
2 Télérama, 22 avril 1977 cité dans Mythologies politiques du cinéma français p.119
3 Le Matin, 24 octobre 1987 cité dans Mythologies politiques du cinéma français p.120
4 Jacques Deray, 1970
5 Jean Pierre Melville, 1970
6 José Pinheiro, 1988