L’arrivée du papier en Occident
Il fut inventé en Chines avant notre ère et l’on remonte son utilisation en tant que support d’écriture dans le milieu impérial à Lo-Yang en 105 à partir d’écorces d’arbres. Ce nouveau support traversa les pays arabes au Xe s. avant d’arriver en Europe. Le papier arabe était utilisé pour les copies des manuscrits arabes, byzantins, persans, syriaques, coptes, hébreux, latin d’Espagne, géorgiens et arméniens et était sans-filigrane. On l’a appelé « papier oriental » ou « bombycin » mais le terme de papier non-filigrané a pris l’avantage aujourd’hui car il englobe tous les papiers sans filigrane fait selon la technique « arabe ». Ce papier arabe était fabriqué en Europe à Al-Andalus au Xe s., en Sicile en 1109 ainsi qu’à Gênes et à Venise. Il était fait à base de chanvre et de lin. Le broyage de la matière première ne se fait plus à la main ou à l’aide d’une masse actionnée par le pied mais avec une meule de pierre généralement mise en mouvement par des animaux.
Il est fabriqué en Ombrie à Fabriano en 1264 où des innovations sont apporté à cette fabrication, la meule est remplacée par un système de leviers armés de pilons broyeurs, animés par une roue hydraulique créant le premier moulin à papier (ou battoir à papier ou papeterie). La forme traditionnelle qui servait à puiser la pâte à papier (assemblage de fibres naturelles et de crin) devient entièrement métallique. L’introduction du papier en France s’est fait à partir de l’Espagne et de l’Italie. Les premiers papiers sont produits dans la région de Troyes et dans la vallée de l’Essone vers 1350. Il s’introduit également dans les pays germaniques par l’intermédiaire de l’Italie aux XIVe et XVe s. Il arrive en Grande-Bretagne au XVe s. et dans les pays nordiques au XVIIe s.
La fabrication du papier
La première étape de cette fabrication est la pâte. Cette dernière fut faite à partir de différents matériaux selon les siècles et les régions, des plantes ou des produits de récupérations tels que le cordage du chanvre ou de papyrus, les chiffons de lin, chanvre ou coton et même du papier de récupération. Cette mixture était ensuite mise à macérer dans de l’eau de chaux dans lequel une forme était plongée. La pâte, correctement étalé sur cette forme était ensuite détachée (excepté la forme flottante) puis mise à sécher. Après le séchage, la surface de la feuille est encollée afin de la rendre imperméable et apte à l’écriture. On utilise pour cela en général de l’amidon de riz ou de blé. Les papiers de luxe sont lustré en dernière étape.
Figure 1 : forme à papier (http://vocabulaire.irht.cnrs.fr/pages/vocab2.htm)
La description du papier
Cette forme métallique laisse une emprunte sur le papier. Les fils de laiton qui sont tendus sur le châssis de la forme, à très courte distance les uns des autres et parallèlement au grand côté sont les fils de vergeur. Leur emprunte reste dans la trame du papier : on appelle cela des vergeurs. Les fils de chaînette sont tendus de façon plus espacée que les lignes de vergeurs et perpendiculaire à eux. Ils ont pour rôle de lier les fils de vergeurs entre eux et de les renforcer. L’emprunte qu’il laisse s’appelle fil de chaînette.
Le filigrane est le dessin dont l’empreinte est laissée dans la feuille de papier par un fil métallique formant une figure, cousu aux fils vergeurs ou aux fils de chaînette, dans l’une des deux moitiés de la forme. La contremarque est un élément plus rare. Il s’agit d’un filigrane de petites dimensions placé dans l’un des angles de la moitié de la feuille qui ne contient pas le filigrane principal, généralement composée d’initiales permettant de distinguer les différents fabricants utilisant le même type de filigrane
Figure 2 : schéma de trame du papier occidental (http://vocabulaire.irht.cnrs.fr/pages/vocab2.htm)
Le format originel de la feuille (lorsqu’on peut le reconstituer), sa couleur, sa souplesse, sa rigidité et la qualité de sa pâte sont d’autres éléments permettant parfois d’identifier le lieu de fabrication de la feuille. Certains chercheurs se sont également intéressés à l’épaisseur de la feuille.
Certains éléments importants pour la description des papiers sont communs aux papiers filigranés et aux papiers non-filigranés1 : formats, fils de chaînettes et de vergeurs, zones d’ombre. Cependant il existe des distinctions visibles à la description :
- les fils de chaînette groupés sont propres aux papiers filigranés.
- les filigranes et les éléments qui leur sont associés sont caractéristiques des papiers italiens, puis européens.
- les zig-zags (trace en forme de peigne dans la trame du papier) se rencontre quasi-exclusivement dans les papiers non-filigranés occidentaux. Ils peuvent apparaître, mais très rarement, dans les premiers papiers italiens filigranés, héritiers du papier « arabe ».
La présentation faite ci-dessus est très succincte. L’étude et la description des papiers filigranés ou non a fait l’objet de nombreux ouvrages, j’en cite quelques ’un dans ma bibliographie.
Le rôle du papier dans l’histoire de la culture de l’écrit
Le papier est moins solide que le parchemin et fut au début interdit pour les actes officiels, le premier usage connu par la chancellerie royale de France date de 1340 mais il est surtout moins couteux. Il coûte quatre fois moins cher que le parchemin, à surface égale, au XIVe siècle et il devient encore moins cher par la suite. On voit la présence de ce support se multiplier tout au long du Moyen-âge. Cette popularisation du support coïncide avec un tournant dans la culture de l’écrit. Jusqu’au XIIe siècle, établissements ecclésiastiques : avait le quasi-monopole de la culture livresque et de la production du livre. Les scriptoria, principalement monastiques, fournissent une production faible, à cause entre autres des procédures lentes de la copie et du coût du support. La fin du XIIe siècle, la fondation des universités, le développement de l’instruction chez les laïques et l’essor des populations urbaines ouvrent une nouvelle période dans l’histoire du livre. On voit apparaître de nouvelles structures professionnelles cherchent à satisfaire tant bien que mal les besoins sans cesse croissants en livres. Le premier public est celui des clercs des universités dont a pratique de la glose nécessitait d’avoir sous la main textes de référence et commentaires. Des ateliers où des artisans copiaient à bon compte et dans des délais rapides apparurent. Les copistes professionnels se multiplièrent autour des universités. Dans chaque centre universitaire, une véritable corporation de professionnels du livre apparut : libraires (laïques), copistes (souvent des clercs). Considérés comme faisant partie de l’Université, ils jouissaient, on l’a vu, de certains privilèges comme l’exemption de la taille et du guet, et relevaient sur le plan judiciaire des autorités universitaires. Ces privilèges étaient accompagnés d’un strict contrôle de l’Université. Les ateliers étaient nommés après une enquête préalable qui permettait de s’assurer de leur bonne réputation, ils devaient fournir caution et prêter serment à l’Université.
Pour permettre la multiplication des copies, sans altération du texte, les autorités universitaires (Paris, Bologne) mettent au point au XIIIe siècle le système de la pecia. L’exemplar (modèle) est déposé chez un stationnaire (libraire officiel de l’Université) puis divisé en peciae. Plusieurs copistes peuvent donc travailler simultanément sur des parties différentes. Il y avait 156 ouvrages déposés en exemplar à Paris en 1306.
L’augmentation de la clientèle conduit les copistes et les artisans du livre à “normaliser” leur production, afin de la rendre la plus abondante et rapide possible. Avec la multiplication des ateliers laïques on voit l’apparition d’officines distinctes, les unes de copistes, d’autres d’enlumineurs et même de spécialistes dans l’exécution des lettrines en tête des chapitres Ces derniers ne lisent pas le texte mais se contentent de dessiner la lettrine à l’emplacement blanc laissé par le scribe. Dans les ateliers d’enluminure, le travail prend parfois un tour répétitif : les enlumineurs mettent au point des procédés techniques leur permettant de reproduire plusieurs fois un modèle donné, dans les espaces réservés par le copiste dans sa mise en page du texte.
La première bible fut imprimée par Gutenberg à Mayence en 1450, mais l’imprimerie ne reste pas cantonnée à Mayence. Les associés de Gutenberg, Fust et Schoeffer, répandent ce nouveau procédé. Ils reçoivent l’aide de mécènes tel que le duc de Rohan et s’installent dans des villes ayant une grande fonction intellectuelle (Paris, Lyon,…). La première imprimerie parisienne est installée en 1470 sous l’influence de Guillaume Fichet.
L’arrivée de l’imprimerie au XVI e siècle ne fit qu’accentuer cette évolution mais jusqu’au XIXe siècle, les matières premières (chiffons de lin et de chanvre pour les papiers orientaux et occidentaux) et les techniques de fabrication varient peu. Puis, pour des raisons économiques, la fabrication artisanale fait place à la production industrielle et le bois se substitue au chiffon, altérant inéluctablement la qualité du papier. Pour remédier à la dégradation accélérée du papier, inhérente à la composition de la pâte de bois, une norme internationale fixant les critères d’un papier permanent a été publiée en 1994.