Archives départementales de la Martinique : archives orales et la mémoire vivante

banner_article

Point sur la culture antillo-caribéenne

Les cultures créoles, baignant le bassin caribéen d’Haïti à Sainte-Lucie en passant par les Antilles françaises, la Guyane et hors du périmètre caribéen la Réunion, se sont édifiées par la transmission des traditions par les anciens, les grands-parents et les parents à travers l’éducation des jeunes générations. Les histoires anecdotiques d’un passé d’antan chantent les métiers d’hier, la vie quotidienne de la ville aux champs de canne. Certaines histoires révèlent les heures sombres d’un racisme ouvert entre Noirs (« Nègres ») et Blancs (« Békés »), trouvant leurs racines dans l’esclavage, l’histoire des colonies des « Isles de l’Amérique ». Cette mémoire non écrite contée et que quelques intellectuels antillais ont livré leur plume à décrire ces paysages, ces vies d’autrefois. C’est pourquoi il est si précieux de garder, de se souvenir de ces temps et d’enregistrer ce passé qui se perd. C’est la tâche entreprise par les Archives départementales de la Martinique (ADM).

Centre d’archives, « provocateur » d’archives

Le terme peut sembler fort mais, porteur de sens. En effet, quelques services d’archives incitent à la production d’archives qui n’aurait jamais vu le jour, si personne ne s’était intéressée à la valeur de la parole dite. Si l’écrit retrace une part fondamentale de l’histoire collective, l’oralité est l’histoire de l’individu au sein de la collectivité. L’intérêt pour les centres d’archives est de préserver et de partager à la mémoire collective par le biais de ces bouts d’histoire à l’échelle d’un département, d’une région, d’un état.

Les archives orales, témoignage de la mémoire vive de l’individu

Aux ADM, les archives orales et audiovisuelles intégrées à la série AV (série audiovisuelle) ont été initiées en 2005. Pour réaliser ces archives confiées aux mains d’une archiviste, responsable des Archives audiovisuelles, les témoignages sont organisés selon des thématiques que l’on retrouve dans les fonds, les expositions des ADM, ou de l’actualité culturelle de l’île. L’année 2013 commémorant le centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, homme politique et de lettres porteur du mouvement de la négritude, fait l’objet d’un recueillement de témoignage sur le personnage, grande figure martiniquaise. L’exposition « Les femmes de la Martinique », présentée aux Journées européennes du Patrimoine en septembre 2010 a été l’opportunité d’interviewer des femmes remarquables qui ont voulu laisser une empreinte dans l’histoire de la Martinique dans les domaines de l’éducation, la culture et la politique.

Une prochaine campagne de témoignage est lancée en raison de la rénovation du quartier populaire Trenelle Citron, zone d’habitation en périphérie perché sur les hauteurs de la commune de Fort-de-France. Magnétophone, casque et micro en main, les habitants du quartier sont invités à donner leur « versement oral» sur l’histoire du quartier et de leur vision sur l’avenir du quartier après ces grands chantiers. La part de subjectivité et de la perception de l’individu n’enlève en rien à la valeur de ces archives. Au contraire, les archives orales permettent un nouvel éclairage, une confrontation des sources dont l’histoire officielle et écrite donne une orientation.

Les témoignages seront communiqués et diffusés en vue d’une future publication en ligne sur la Banque numérique des patrimoines martiniquais (BNPM), portail numérique regroupant les collections des différents partenaires culturels de l’île (Bibliothèque Schœlcher, Musée départemental de l’Archéologie précolombienne et de la Préhistoire, la Direction régionale des Affaires culturelles…) – j’espère pouvoir discuter et partager avec vous du portail numérique dont une refonte est sortie depuis le 12 juin 2013, et en phase d’intégration de nouvelles ressources : documents d’archives (26 J registres paroissiaux), imprimés (manuscrits, livres), cartes et plans et des supports multimédias. Curieux et intéressés, vous êtes cordialement invités à découvrir un patrimoine régional d’outre-mer à travers ce site.

La constitution d’archives orales ne s’apparente pas à une entreprise journalistique. Il est certain que l’entretien est orienté, dirigé selon les sujets des fonds d’archives détenus pour permettre de donner un cadre au témoignage. Toutefois, la liberté d’expression du témoin reste entière. La carte de la neutralité visée est aucun remaniement du discours. La mémoire vive s’agrège alors au patrimoine culturel.

D’autres centres d’archives se sont prêtés à l’exercice à l’exemple des Archives départementales des Alpes de Haute-Provence. Sur la lignée des bibliothèques et de leurs heures de contes ou de lecture publique, elles ont voulu faire « parler » leurs fonds en demandant l’aide d’un conteur. Il est sûr que certains fonds de type littéraire, tapuscrits, journal intime ou de presse sont plus aisés à exploiter. Cet axe intéressant à exploiter dévoile une autre facette des archives qui atteint, touche à long-terme de nouveaux publics.

Virginie MICHEL