Suite à la récente réédition de l’ouvrage de Sophie Cœuré, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, s’est tenue, le mardi 11 juin dernier au Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, une conférence consacrée au fonds d’archives couramment appelé « fonds de Moscou ». Cet évènement, réunissant historiens et archivistes, a été l’occasion de rappeler la composition et l’histoire de ce fonds particulier, et de présenter les travaux de valorisation en cours de réalisation.
Ce fonds trouve son origine dans la période d’Occupation, au cours de laquelle les autorités allemandes ont pris possession d’un grand nombre de documents d’archives dans les pays occupés, principalement pour les utiliser dans la gestion administrative et militaire des territoires occupés – mais également dans des buts de réutilisation historique idéologisée. En France, cela s’est traduit par la saisie d’une quantité importante d’archives publiques – en majorité issues des ministères de la Guerre et de l’Intérieur – mais également d’archives privées, qu’elles appartiennent à des hommes politiques, des intellectuels, juifs ou de gauche, des associations, des partis politiques, des syndicats ou des loges franc-maçonnes. Conservées en différents lieux du Reich (Tchécoslovaquie, Pologne), ces archives sont récupérées par l’URSS à la fin de la guerre. Elles seront alors conservées et inventoriées par les autorités soviétiques pendant 50 ans, souvent en les dispersant dans les administrations en ayant utilité (ministère des Affaires étrangères, KGB, etc.). Enfin, la chute de l’URSS permit de redécouvrir ces documents, notamment grâce à l’historienne Patricia Grimsted, qui les découvrit et signala leur existence à cette occasion.
Afin de restituer ce fonds à la France, s’engagea alors un long et complexe travail de relations diplomatiques, marqué par plusieurs accords, dont un traité signé le 7 avril 1992 entre les deux pays. Un premier retour de fonds a alors eu lieu en 1994, voyant environ la moitié des archives revenir par camion en France, au centre des Archives nationales de Fontainebleau, avant que la Douma russe ne stoppe les transferts.
Après reprise de négociations, la suite du fonds put être enfin rapatriée en 2000, tandis que la France rendait à la Russie trois fonds d’archives russes qu’elle conservait. Au cours de ces restitutions, le cas des archives privées constitua un point épineux, les autorités russes réclamant un pouvoir des ayants-droits des fonds ou de leurs successeurs. Le gouvernement français se chargea de centraliser les demandes de restitution et de retrouver les ayant droits ou les successeurs. Ceux-ci ne furent pas toujours faciles à retrouver, et l’opération déclencha même occasionnellement quelques litiges, plusieurs personnes ou institutions affirmant être l’héritier légitime, réclamant donc les fonds.
Bien que la grande majorité des archives aient été rendues à la France, quelques pistes laissent à penser qu’un certain nombre de documents éparpillés dans toute l’URSS (jusque dans certaines bibliothèques de Sibérie) restent encore à retrouver et à rapatrier. Le directeur des Archives d’Etat de la Fédération de Russie a d’ailleurs déclaré, au cours d’une visite de plusieurs jours en France à la fin de l’année 2012, souhaiter voir se développer une vaste collaboration archivistique entre les deux pays. Il semble donc possible d’espérer une réouverture des négociations de restitution au sein de ce large projet.
Une fois revenu en France, les différents fonds d’archives constituant ce « fonds de Moscou » ont été confié aux ayant-droits privés ou aux services d’archives publiques responsables de leur gestion. Ces derniers ont alors réalisé des instruments de recherche présentant ces nouveaux fonds, afin de permettre aux lecteurs de s’orienter dans la consultation de ces riches sources historiques. Ainsi, le Service historique de la Défense a récupéré un peu plus de 3 kilomètres linéaires de documents produits par le ministère de la Guerre, qu’il a intégré à son cadre de classement. Le fonds de la Sûreté générale a quant à lui été confié au Département Justice-Intérieur, et représentant environ 6 kilomètres linéaires. Il comprend à la fois des dossiers et un fichier de surveillance nominatif, et des documents produits par les différents organes de la Sûreté, décrit dans un instrument de recherche méthodique permettant de saisir l’histoire les aléas historiques de la structure de ce fonds.